On pourrait penser que le regard aide la mémoire. Pourtant Ricoeur nous invite à séparer image et souvenir : “l’expression image-souvenir est au même temps inévitable et trompeuse”. Selon Ricoeur, il faut rendre la mémoire au temps et la libérer de la « “colonisation séculaire” » de la part de l’image et de l’imagination . Est-il possible de penser l’image comme rempart contre le temps, contre la mémoire? Si récemment de nombreuses études s’intéressent aux rapports entre image et mémoire , il y a pourtant des textes littéraires qui tachent de résister à la mémoire précisément à travers l’image, grâce à elle. Je me propose d’analyser la façon dont certains textes du Nouveau Roman, en employant le regard comme stratégie anti-narrative, résistent à la menace du temps et de la mémoire. Ils présentent le refoulement du passé en tant que répression, renversement de l’intrigue qui caractérise le récit classique. La description est, pour Ricardou et Robbe-Grillet, la principale “technique du présent” (Jean-Luc Nancy), parce qu’elle permet à la narration d’éviter la succession temporelle, comme si le temps comportait une menace, une blessure. Cette menace est au centre de La modification de Butor: “Il faut fixer votre attention sur les objets que voient vos yeux (…) afin de mettre fin à ce remuement intérieur, à ce dangereux brassage et remâchage des souvenirs.” (p. 156) Le regard est une forme vide, où réside la possibilité (traumatique) d’éviter l’histoire. Pourtant, le passé revient: il faudra comprendre pourquoi, comme le dit Ricardou, la description finit toujours par évoquer le spectre d’un événement originaire, et doit à ce moment se suicider . La résistance au passé et au récit est seulement temporaire. De la même façon, un statut paradoxal caractérise la dynamique du regard dans les romans de Robbe-Grillet: dans Une chambre secrète le récit s’étale sur la surface d’un tableau, sans rien nommer, en le privant de sujet et donc de sens; mais il finit par l’ébranler, en le transformant dans le lieu d’une mise en intrigue imaginaire. Dans un premier temps, la surface remplace l’histoire, mais ensuite l’intrigue brise la fixité de l’image. C’est le double mouvement mis en scène par L’année dernière à Marienbad : véritable fantaisie de Pygmalion, cette “description d’une statue” (Robbe-Grillet) oppose l’immobilité sans passé à la séduction de la chute dans le temps. On peut dire alors que la description ne nie pas le passé, mais le contient: elle l’implique, le retient en l’empêchant de se représenter, et au même temps le produit, le génère. De là, en L’année dernière, l’indécidabilité à l’égard du viol entre fantasme de l’origine et origine du fantasme , entre trauma et hystérie. Le fonctionnement traumatique ne consiste pas simplement dans un refus (refoulement) du temps par l’image, mais dans le mouvement entre ses deux excès: le regard pur de l’absence d’histoire et le délire de l’animation en tant qu’“incorporation des temps” (Didi-Huberman).

(2009). Résister au temps : description, image et mémoire dans le Nouveau Roman [conference presentation - intervento a convegno]. Retrieved from http://hdl.handle.net/10446/23710

Résister au temps : description, image et mémoire dans le Nouveau Roman

PARENZAN, Giovanni
2009-01-01

Abstract

On pourrait penser que le regard aide la mémoire. Pourtant Ricoeur nous invite à séparer image et souvenir : “l’expression image-souvenir est au même temps inévitable et trompeuse”. Selon Ricoeur, il faut rendre la mémoire au temps et la libérer de la « “colonisation séculaire” » de la part de l’image et de l’imagination . Est-il possible de penser l’image comme rempart contre le temps, contre la mémoire? Si récemment de nombreuses études s’intéressent aux rapports entre image et mémoire , il y a pourtant des textes littéraires qui tachent de résister à la mémoire précisément à travers l’image, grâce à elle. Je me propose d’analyser la façon dont certains textes du Nouveau Roman, en employant le regard comme stratégie anti-narrative, résistent à la menace du temps et de la mémoire. Ils présentent le refoulement du passé en tant que répression, renversement de l’intrigue qui caractérise le récit classique. La description est, pour Ricardou et Robbe-Grillet, la principale “technique du présent” (Jean-Luc Nancy), parce qu’elle permet à la narration d’éviter la succession temporelle, comme si le temps comportait une menace, une blessure. Cette menace est au centre de La modification de Butor: “Il faut fixer votre attention sur les objets que voient vos yeux (…) afin de mettre fin à ce remuement intérieur, à ce dangereux brassage et remâchage des souvenirs.” (p. 156) Le regard est une forme vide, où réside la possibilité (traumatique) d’éviter l’histoire. Pourtant, le passé revient: il faudra comprendre pourquoi, comme le dit Ricardou, la description finit toujours par évoquer le spectre d’un événement originaire, et doit à ce moment se suicider . La résistance au passé et au récit est seulement temporaire. De la même façon, un statut paradoxal caractérise la dynamique du regard dans les romans de Robbe-Grillet: dans Une chambre secrète le récit s’étale sur la surface d’un tableau, sans rien nommer, en le privant de sujet et donc de sens; mais il finit par l’ébranler, en le transformant dans le lieu d’une mise en intrigue imaginaire. Dans un premier temps, la surface remplace l’histoire, mais ensuite l’intrigue brise la fixité de l’image. C’est le double mouvement mis en scène par L’année dernière à Marienbad : véritable fantaisie de Pygmalion, cette “description d’une statue” (Robbe-Grillet) oppose l’immobilité sans passé à la séduction de la chute dans le temps. On peut dire alors que la description ne nie pas le passé, mais le contient: elle l’implique, le retient en l’empêchant de se représenter, et au même temps le produit, le génère. De là, en L’année dernière, l’indécidabilité à l’égard du viol entre fantasme de l’origine et origine du fantasme , entre trauma et hystérie. Le fonctionnement traumatique ne consiste pas simplement dans un refus (refoulement) du temps par l’image, mais dans le mouvement entre ses deux excès: le regard pur de l’absence d’histoire et le délire de l’animation en tant qu’“incorporation des temps” (Didi-Huberman).
2009
Parenzan, Giovanni
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